PAINT'TUBE

ana artiste peintre
     
 

 

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Le Paint’Tube est une performance ayant vu le jour en 2006, je la pratique régulièrement depuis, je la modèle et l’éprouve dans des lieux éclectiques. Au delà du besoin d’expression c’est la mise en danger et la confrontation avec autrui qui me motive.
Elle met en scène un tube transparent mesurant 1,70 m de haut x 1 m de diamètre, de la couleur, moi, collaborant avec des participants étrangers à l’expression plastique.
Cette hybridation produit des résultats captivants et surtout une atmosphère unique qui pose la question de la place de l’oeuvre dans la société.
L’intérêt réside non seulement dans le rapport entre l’artiste et les participants mais également dans la production d’une oeuvre en relation avec un public, un moment, provoquant un «interstice social» (Karl Marx)*.

*Nicolas Bourriaud, «Esthétique Relationnelle» - Les Presses du Réel - p14

 

 

 

 

 

En compagnie de mon équipe, nous choisissons un endroit propice sur lequel nous installons une
surface de protection (moquette, lino...) afin de ne pas endommager le sol investi. Au centre, nous
diposons un tube de plastique transparent. Il s’agit d’une feuille de Lexan© de 2mm d’épaisseur de
1,70m de haut par 3m de long roulée sur elle-même et boulonnée à ses extrémités afin de la maintenir
en forme de tube. L’encombrement au sol est alors d’environ 1m de diamètre.

A disposition sur l’aire, des blouses de protection, des pinceaux, des brosses, des rouleaux et de
la peinture acrylique ou de l’adhésif teinté avec des ciseaux.Le support transparent et réflecteur de
lumière, de part sa brillance et sa taille affiche une certaine majesté cependant qu’il investit
subtilement l’espace. Les couleurs et formes sont posées sur sa face extérieure par le public.

J’interviens quant à moi à l’intérieur du Tube en noir, au trait. Suivant le principe de la paréidolie, je
laisse des figures venir à moi. Elles émergent des motifs de couleurs et je les dessine. Une fleur
peinte en périphérie prendra éventuellement la forme d’un visage pour moi...

Au terme de la performance, le support est ouvert, dévoilant ainsi le véritable endroit de la fresque
qui réside à l’intérieur.

Je tente de repenser la place de l’artiste et du spectateur en abolissant les barrières spacio-temporelles.
En effet, le lieu de mes actions se détache du monde artistique car je veux une relation physique,
spatiale différentes et montrer l’artiste en dehors d’un atelier. L’approche temporelle se démarque
par une création instantanée, qui procure d’ailleurs une réelle authenticité et véracité à l’oeuvre, elle
se déroule sous l’oeil des participants impliqués dans le processus. On sort du schéma classique
chronologique avec une création, une présentation et enfin une perception, ici les trois étapes se
mêlent et le spectateur/acteur est différemment sollicité. J’obtiens «le rapport le plus court et le plus
franc possible avec le public». En pratiquant un «Art contextuel», je me confronte à la réalité brute qui
m’est donnée au travers des contributions colorées spontanées, pour ainsi «(...) faire valoir le potentiel
critique et esthétique de pratiques artistiques plus portées à la présentation qu’à la représentation,
pratiques proposées sur le mode de l’intervention, ici et maintenant.»1
Comme j’ai déjà pu le remarquer, chaque peintre improvisé se prête au jeu, rentre dans un processus de
«lâcher-prise» décuplé par le support, beaucoup plus que sur la toile classique. L’effet de transparence,
le cercle qu’ils forment autour, leur permet d’oeuvrer en harmonie car chaque participant peut observer
le travail de l’autre. Cette ronde, l’utilisation de la peinture ou du découpage d’auto-collants sur un grand
format participent également à une sorte de régression positive déclenchant une attitude désinhibée,
produisant une écriture libre sans carcan culturel ou académique qui influera directement sur ma
production à l’intérieur du tube. Chaque personne parvient à s’exprimer indépendamment de son
niveau artistique.
A l’instar des réseaux sociaux et des relations virtuelles sur internet, ma démarche invite à l’échange
humain, car, comme l’écrit Nicolas Bourriaud : «L’Art est un état de rencontre». Il se crée toujours une
sorte de symbiose entre les différents acteurs. Grâce à mon concept, je m’inscris dans une mouvance
sociétale qui vise au décloisonnement. La résurgence d’un fort narcissisme voire égocentrisme que
l’on constate au travers de l’omniprésence des «selfies» et autres expositions sur les réseaux sociaux
m’a également incitée à trouver une solution pour associer le spectateur de façon forte, prégnante et
valorisante.

L’improvisation constitue le point fort pour moi, l’image prend forme à l’extérieur ET à l’intérieur :
«Au centre de l’oeuvre, je tente de m’imprégner de chaque dessin, de le magnifier, de le retranscrire,
le souligner, le transformer, le marier à son voisin. Je reste à l’écoute du monde resté au dehors de
ma bulle et je ris, je crée, je me nourris de tout ce que je peux voir ou entendre et la maïeutique n’est
plus une souffrance mais devient un plaisir partagé avec mes peintres. Cette sensation est d’autant plus
forte que mes aides sont frustrées, comme j’ai pu le constater avec des détenus.»
Ainsi les motifs représentés à l’extérieur du tube me servent de trame de fond pour raconter une
histoire sur l’envers. Tous les éléments de la performance, les formes aléatoires, les sons influencent
ma narration. Pour citer Alighiero e Boetti, «Mon problème n’est pas de faire des choix en fonction de
mon goût, mais d’inventer des systèmes qui choisissent ensuite pour moi.»
Dans ce cadre, je peux exprimer toute ma singularité, au niveau du trait et de l’approche. J’aime me
confronter à un public qui m’observe pourtant comme un animal en cage. Cette situation me transcende,
la mise en danger de l’instantané me transporte et m’inspire.
«Cela implique non seulement que l’artiste accepte de se mettre à l’arrière-plan, mais également qu’il
reste ouvert aux imprévus inhérents à la création collective : nul ne peut prévoir la direction que le
groupe décidera d’emprunter.»2

Durant les premiers instants de la performance, les couleurs sont en suspension dans l’espace,
Elles flottent dans l’air, créant une ambiance surréaliste. Ces éléments concrétisent une frontière qui
symbolise la bulle de l’artiste dans laquelle il a tendance à s’enfermer pour créer. A l’intérieur de mon
installation, je communie avec les autres en même temps que je m’en distingue par cette barrière
transparente. Cela constitue un premier paradoxe inhérent à ma performance. Cette enceinte devient
ainsi un espace de rencontre entre l’artiste et son public, et les deux champs d’expression viennent se
télescoper sur ces murs transparents. Ils représentent aussi la zone de confort dont chacun a besoin
pour ne pas se sentir agressé par l’Autre.
Le deuxième paradoxe apparaît dans l’aspect spectaculaire alors qu’un artiste se complaît dans
l’isolement de sa bulle. Je me retranche dans mon aire tandis que je m’exhibe en tant que créature
créative «reléguant au passage la figure désuète de l’artiste reculé, créateur génial retiré du monde
(...)»3
En utilisant les adhésifs comme moyen d’expression, je permets à l’utilisateur de faire appel à d’autres
codes et sensations par le découpage et le collage. Dans cette deuxième étape, systématiquement,
des bulles d’air sont emprisonnées sous l’adhésif permettant ainsi à la performance de garder un
témoignage de l’air du temps.
Un des moments phares est l’ouverture du tube où l’endroit de l’oeuvre est enfin dévoilé. On peut
alors lire sur les visages de l’étonnement suivi d’une expression de fierté, les sourires et les figures
qui s’illuminent sont ma plus belle récompense et c’est à cet instant que jaillit la plus grande émotion.
Chacun s’approche ensuite de la peinture pour montrer à l’autre sa contribution.

L’intérêt majeur du Paint’tube réside dans cette dualité, ce jeu entre novices et artiste confirmée, le
trait hésitant et maladroit devient un atout, une facture que l’on ne retrouve sur aucune autre oeuvre.
Chaque tache, coulure est exploitée pour être sublimée. Les participants sont autant de petites mains
qui vivent une expérience unique et l’échange reste inoubliable pour les deux parties.
Il n’y a aucune préparation, les intervenants ne se sont généralement jamais côtoyés, mais l’osmose
se crée à chaque nouveau projet.
Ma volonté vise à favoriser la puissance d’expression de la foule, d’engager un dialogue entre la culture
et les structures populaires et de réintroduire l’Art dans la société. Mon travail est destiné à être connu
de tous, invitant à créer une oeuvre dans laquelle le visiteur a une place active. Ainsi, les rôles de
l’artiste en tant qu’auteur et public destinataire peuvent être réécrits.
«Il s’agit alors d’ouvrir le processus de création aux échanges, autant entre l’artiste et les spectateursparticipants
qu’entre l’oeuvre et le milieu sociopolitique dans lequel elle est déployée. En d’autres mots, il
ne s’agit pas véritablement de confondre ensemble les rôles de l’artiste et du spectateur, mais d’ouvrir
le champ des actions et des interventions que l’un et l’autre peuvent poser tout au long du processus
de création.»4
La performance est artistique autant qu’humaine, avec de grandes surprises. Je désire oeuvrer sans
à priori afin de ne pas scléroser ma démarche et tomber dans des stéréotypes. L’expérience se veut
enrichissante pour moi mais également pour les différents protagonistes, ma priorité allant toujours
vers la mise en valeur de la «Trajectoire», le processus créatif.

 

1 Paul Ardenne - «Un art contextuel» - Champs arts - Flammarion
2 Anne-Sophie Blanchet - «Confusion des rôles ? L’artiste et le spectateur dans la Manoeuvre.» - Cahiers d’histoire 311 (2012):
57–67. DOI : 10.7202/1011678ar
3 Claire Moulène - «Art contemporain et lien social» - Editions Cercle d’Art
4 Anne-Sophie Blanchet «Confusion des rôles ? L’artiste et le spectateur dans la Manoeuvre.» Cahiers d’histoire 311 (2012):
57–67. DOI : 10.7202/1011678ar